Equiper un chevalier au treizième siècle

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Lorsqu’on lit des textes sur le treizième siècle les chevaliers et leur armure sont souvent mentionnés.  Mais à quoi ressemblait cette armure, comment le chevalier l’enfilait-il, comment l’utilisait-il? Il existe de nombreux ouvrages de référence que l’on peut consulter sur ce sujet, mais à mon avis rien ne vaut une bonne démonstration pratique, et c’est ce que nous allons voir ici.

Pour commencer, prenons un chevalier habillé de la dernière tendance en sous-vêtements du treizième siècle.

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Il nous faut un équipement complet; il est utile de l’étaler au sol avant de commencer de manière à pouvoir vérifier que nous avons tout ce qu’il faut.

Il faut aussi au moins un – et de préférence deux – aides qui savent ce qu’ils font, et beaucoup de temps.

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Le premier élément que le chevalier doit enfiler est ses chausses de mailles.

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Elles vont au-dessus des bas rembourrés qu’il porte déjà. Elles sont assez difficiles à enfiler car elles sont relativement serrées: si elles étaient trop lâches, marcher ou aller à cheval serait difficile pour le chevalier. Les chausses consistent en deux jambes séparées, et non en un « pantalon » – ainsi le chevalier peut s’asseoir sur son cheval plus confortablement.

Elles sont maintenues en place par un cordon attaché à la taille des braies du chevalier (un sous-pantalon), puis, pour empêcher qu’elles ne glissent, elles sont attachées par des liens supplémentaires autour du genou et de la cheville.

Puis vient le jaque, un vêtement matelassé épais.

Il est constitué de nombreuses épaisseurs de textile – tissu, ouate, crin de cheval – toutes cousues les unes avec les autres, en sorte qu’il soit rigide et solide, et non pas moelleux comme une couette. Un bon jaque tient plus moins tout seul ! Le rembourrage amortit la force des coups qui peuvent atteindre le chevalier et les diffuse ; cela empêche aussi les mailles de s’enfoncer dans la chair du chevalier.

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Le jaque n’est pas “respirant” comme beaucoup de textiles modernes, c’est pourquoi le chevalier avait très chaud et transpirait en le portant: s’il se battait ainsi vêtu pendant plusieurs heures, il devait veiller à consommer beaucoup de liquides (et du sel), sinon il risquait de s’effondrer sous l’effet de la déshydratation.

Puis vient la coiffe rembourrée, pour mieux protéger la tête du chevalier et aussi pour dégager les cheveux du visage.

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L’armure défensive principale de cette époque, bien sûr, était faite de mailles. La structure standard du début du treizième siècle consistait en la réunion de chaque maillon à quatre autres, deux au-dessus et deux en-dessous.

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Ce qui est aussi assez typique de l’époque, c’est que si l’on regarde attentivement le gros plan, on peut voir qu’elle est constituée de rangs alternés de maillons pleins et de maillons rivetés. Cela rend la fabrication un peu plus rapide car on ne rivète pas chaque maillon, mais cela reste un processus fastidieux.  Il faut forger l’acier, fabriquer les maillons individuels, les assembler correctement et effectuer le rivetage. Cela représente de nombreuses semaines de travail pour un ouvrier qualifié, ainsi que des matériaux onéreux, c’est pourquoi la maille était très coûteuse et réservée aux plus riches.

L’élément principal de l’armure de mailles est le haubert ou cotte de maille. Aider le chevalier à l’enfiler peut s’avérer difficile.

Le haubert est lourd (voir ci-dessous pour les détails du poids de l’équipement), mais ce poids est trompeur car si l’on s’entraînait chaque jour on s’y habituerait beaucoup plus. Il est aussi très flexible pour que le chevalier puisse se mouvoir facilement.

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Le ceinturon, un élément peu élégant mais important de l’équipement, permet de répartir le poids. Quand le chevalier met son haubert, tout le poids de celui-ci repose sur ses épaules. Cependant, si le chevalier lève les bras, qu’on lui boucle un ceinturon autour de la taille, bien serré, et qu’il baisse de nouveau les bras, le poids de l’équipement est alors soutenu par le ceinturon.

Ainsi que l’on peut voir, le haubert intègre un camail, ou capuche de mailles. Celui-ci doit être lacé autour de la tête au niveau du front en sorte qu’il ne tombe pas devant les yeux du chevalier quand celui-ci va à cheval ou court.

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Il possède également un ventail intégré, qui est la partie qui se plie et se déplie pour couvrir la gorge. Le ventail aussi est attaché avec un cordon.

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Les moufles de mailles, aussi intégrées, étaient constituées de mailles sur le dos de la main mais avaient des paumes de cuir afin de pouvoir tenir les rênes et les armes plus facilement. Les paumes sont fendues de façon à ce que le chevalier puisse sortir et rentrer ses mains en cas de besoin.

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Si l’on observe des illustrations contemporaines de combat, les chevaliers portent toujours des gants, et il y a une raison à cela. En dépit de ce que l’on voit à la télé et dans les films (et ceci m’horripile), aucun individu sain d’esprit n’irait au combat sans porter de gants. Il suffit d’être touché, même accidentellement, au doigt, et même si le coup n’est pas assez puissant pour casser ou entailler celui-ci, cela suffit quand même à déconcentrer, et dès qu’on lâche son épée ou perd sa concentration un instant, on va au devant de gros ennuis.

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Image du treizième siècle d’un combat de chevaliers, extraite de la chronique de Guillaume de Tyr. Notez que les combattants portent des gants de mailles ! 
(British Library manuscript Yates Thomson 12, fol 29r)

Les moufles sont attachées au haubert mais ajustées de manière à pouvoir être mises ou enlevées. Elles ont aussi des attaches autour du poignet pour les maintenir en place.

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Puis vient le surcot. Les opinions divergent quant à la fonction du surcot : servait-il à protéger la maille du soleil quand il faisait trop chaud, ou à la protéger de la pluie et l’empêcher de rouiller quand il faisait humide ? En tous les cas, le surcot remplit ces deux fonctions. Le surcot est aussi un endroit utile pour afficher les armoiries, le blason, du chevalier, ce qui était important car il est très difficile de différencier les gens une fois qu’ils portent leur casque.

Au début du treizième siècle l’héraldique était encore assez simple, avec en général des modèles géométriques ou des animaux, sans les quartiers, les huitièmes et les brisures, que l’on rencontre plus tard. Ce modèle particulier serait décrit comme « argent, au sautoir engrêlé de sable ».

Puis vient le baudrier – l’épée est une arme portée sur le côté, c’est-à-dire que le chevalier doit pouvoir la porter sans les mains, de façon à pouvoir la tirer quand il en a besoin. Elle est portée à gauche, pour pouvoir être tirée de la main droite.

A propos, les épées de cette période sont bien moins lourdes qu’on ne le croit – environ 1,5 kg, ce qui ne représente que trois fois le poids d’un fleuret. Une épée est une arme nécessitant équilibre et habileté, et non un gourdin.

Le chevalier pouvait aussi se servir d’autres armes telles que la masse d’armes, qui a une tête émoussée utilisée pour causer des blessures par écrasement, ou la hache, qui est particulièrement létale car son poids est concentré derrière un petit bord tranchant. Ces armes sont toutes conçues pour être utilisées à une seule main de sorte qu’il puisse aussi se servir de son écu.

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Ensuite, un bonnet rembourré est en plus placé sur la tête du chevalier pour aider à maintenir le casque en place.

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Et maintenant le casque. Le début du treizième siècle marque une époque de transition pour  les casques: si l’on regarde des illustrations contemporaines, on peut voir de vieux modèles de casques à nasal côtoyer des casques à facial plus récents. La dernière tendance, cependant, était le heaume, que l’on peut voir ci-dessous.

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À certains égards ce modèle représente un pas en arrière, car un casque à sommet aplati n’est pas une bonne idée – il risque d’être enfoncé s’il reçoit des chocs, ce qui occasionne de graves blessures au chevalier. Plus tard au treizième siècle le modèle changea pour un modèle « pain de sucre » ; après cela les casques ont presque toujours des formes arrondies en sorte de dévier les coups.

Le port du heaume ne donne pas un grand champ de vision, et il ne permet pas non plus de respirer facilement. Il fallait atteindre un équilibre entre une meilleure sécurité et un champ de vision réduit (ce qui signifie que la tête du chevalier était complètement enserrée) et une vision plus large mais moins de sécurité (à visage découvert). De ceci résulte un casque pourvu d’étroites fentes pour les yeux et de petits trous pour respirer.

L’écu va sur la main gauche du chevalier.

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Il a de petites lanières appelées énarmes pour quand il s’en sert, et une lanière plus longue appelée guiche pour le suspendre autour de son cou et de son épaule lorsqu’il ne s’en sert pas. L’écu est composé de couches de bois et de cuir superposées pour former une défense robuste. De même que le surcot, c’est un endroit utile pour afficher les armoiries.

L’arme principale du chevalier n’était bien sûr pas l’épée mais la lance. Au début du treizième siècle une lance n’était pas une perche de bois émoussée et striée mais plutôt un objet qui pourrait aujourd’hui être décrit comme un javelot : une hampe de bois, de 3-4 m de long, avec une pointe en métal à double-face acérée.

Durant les siècles précédents la lance était utilisée plutôt comme un javelot – si l’on regarde la tapisserie de Bayeux on peut voir les Normands utilisant la technique de la « chasse au sanglier » par en dessus. Cela signifie que la lance n’est projetée qu’à la force du bras du chevalier. Mais au début du treizième siècle les chevaliers utilisaient la technique de la lance couchée, ce qui signifie qu’ils coinçaient la lance sous leur bras droit et la maintenaient bien en place.

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Une image de la Chanson d’Aspremont montrant un chevalier utilisant la technique « de la lance couchée »
(British Library manuscript Lansdowne 782, fol. 11r)

Etant donné que le chevalier était calé dans sa selle et était donc assez stable sur le dos de son cheval, cela signifie que le poids total de l’homme, son armure et son cheval était concentré derrière ce bord tranchant et acéré, ce qui pouvait occasionner de sérieux dommages. Il existe des récits contemporains crédibles d’une lance transperçant quelqu’un d’un côté et ressortant de l’autre.

Ceci nous amène au cheval. De nouveau, contrairement aux mythes populaires, les chevaux de guerre n’étaient pas des animaux énormes du type cheval Shire. Ils étaient, cependant, assez robustes pour porter tout ce poids, et étaient aussi dressés à être agressifs.

Ainsi, le chevalier est à présent armé et prêt au combat.

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Il faut noter quelques points qui réfutent les idées fausses que l’on peut rencontrer dans des films ou à la télé. Tout d’abord il est physiquement impossible pour le chevalier de s’équiper lui-même. Ainsi que l’on peut le voir sur les photos, il n’y a aucune chance qu’il puisse enfiler son équipement sans aide: il lui faut au moins un et de préférence deux assistants.

Deuxièmement, équiper un chevalier correctement prend un certain temps. Le minimum requis est (en langage actuel) d’environ vingt minutes, et cela si l’on dispose de deux aides experts. En général il fallait compter au moins une demi-heure pour pouvoir arranger tous ces petits détails minutieux des attaches, sinon le camail du chevalier risquait de lui tomber devant les yeux, ou ses chausses de mailles pouvaient glisser, ce qui est dangereux. La préparation au combat était délibérée et planifiée, et non quelque chose de spontané.

Et pour finir, abordons les questions du poids et de l’aisance des mouvements. Oui, l’armure est lourde – cela est nécessaire, sinon, elle ne serait pas une protection efficace. L’équipement utilisé dans ces photos est bien sûr une réplique (il y a très peu de maille d’origine de cette période qui ait survécu au temps) mais c’est une copie authentique, et les différents éléments pèsent comme suit :

  • Jaque: 4,5 kg
  • Haubert: 17 kg
  • Chausses de mailles: 8 kg
  • Casque: 2,5 kg
  • Écu: 2 kg
  • Fourreau et baudrier: 1 kg
  • Epée: 1,5 kg
  • Hache: 2 kg

Cela représente 38,5 kg au total – un poids lourd pour qui n’y est pas habitué.

Cependant, et ceci est le point important, le poids de l’équipement ne rendait pas le chevalier immobile. Loin de là : la maille étant composée de milliers de petits maillons elle est très flexible, et celui qui la porte possède liberté de mouvement de son corps et de ses membres. Et n’oublions pas que le chevalier s’est entraîné, pratiquement tous les jours, depuis l’enfance. Cela signifie qu’il était accoutumé à l’armure et à son poids qui de ce fait ne le gênaient pas trop.

Et le voici : le chevalier du treizième siècle en armure.

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Il est le  « tank armé » de son époque – virtuellement invincible et impossible à tuer sous toute cette protection. Très peu de chevaliers mouraient au combat au début du treizième siècle (c’était surtout les combattants de rang inférieur et les civils qui mouraient). Il y a des façons qui permettent à ses adversaires d’augmenter leur chance contre lui, mais « comment combattre le chevalier armé du treizième siècle » fera l’objet d’un prochain article !

Remerciements au chevalier Colin Middleton et à son fidèle écuyer. 

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All photos © James Mears.